Pour Noémie Louaisil et Tiphaine Morel, s’associer chez Monbana était une évidence. “Nous étions salariées et collègues de boutique avant d’être associées et de reprendre la franchise de nos anciens gérants », racontent les deux dirigeantes installées depuis 2022 à Vitré (35). »Mon associé actuel est avant tout un ami, plus qu’un ancien collègue. Nous avons non seulement travaillé trois ans ensemble avant de lancer ce projet, mais aussi traversé un accident de moto. Ça soude !”, témoigne, pour sa part, Emmanuel Dupont qui a ouvert avec cet ami deux magasins JouéClub au Mans et à La Flèche (72) en 2008 et 2011. D’autres, comme Alexandre Petit, ont changé d’avis à mi-chemin. “J’ai démarré l’aventure, à 26 ans, avec mon frère et un ami commun. Mais cette gouvernance avait trop d’inconvénients. J’ai fini à la tête de trois magasins car être seul décisionnaire me convient très bien”, indique cet entrepreneur qui détient trois unités Cash Express à Paris et Angers, ouvertes entre 2012 et 2017.
Définir la bonne structure
“Avant tout, questionnez le franchiseur sur son modèle. C’est à lui de vous indiquer la gestion idéale attendue pour le point de vente, en fonction du chiffre d’affaires prévisionnel évoqué. Et d’expliquer si son modèle est adapté à une ou plusieurs personnes, recommande Nicolas Louis-Amédée, directeur du développement chez Territoires & Marketing. Il doit, s’il n’a pas déjà lui-même testé cette configuration, l’avoir envisagée. C’est votre point de départ pour vous répartir les tâches, savoir qui fait quoi, anticiper combien de personnes se dégageront un salaire au démarrage. On évite ainsi les rancœurs.” Il est, par ailleurs, clé que les associés s’écoutent mutuellement et soient sur la même longueur d’ondes. “On était d’accord sur un point : trouver avant tout un domaine qui nous plaise à toutes les deux ! Chacune a ensuite listé ses compétences pour savoir comment créer cette complémentarité. Nous avons aussi la même organisation, la même façon de travailler et la même façon d’être avec la clientèle”, expliquent les franchisées Monbana, toutes les deux présentes au magasin. “La clé, c’est le partage de valeurs”, estiment Julien Toupé et Benoît Been, cogérants de 7 agences O2, Apef et La Compagnie des Lavandières (Groupe O2) dans le Calvados. “On ne travaille pas de la même façon. Mais nous partageons les mêmes valeurs humaines. Cela n’est pas qu’une question de compétences, ni d’amitié, même si l’on se connaît depuis les petites classes. Cela repose aussi sur du business !”, poursuit le binôme en place depuis 2018.
Anticiper la fin
Concrètement, diriger à plusieurs requiert aussi de signer un pacte d’associés. “Cela suppose un degré de coopération plus important que de simples contrats, estime Laurent Breyne, consultant associé chez Franchise Management. Des questions vont se poser : le choix de la forme juridique, les statuts à structurer, le choix des dirigeants (SARL, avec un ou plusieurs gérants, alors que dans une SAS, il y a un président et la possibilité de nommer des directeurs généraux). Parce que certaines décisions seront prises par le dirigeant, et d’autres soumises à un vote d’associés. Il peut aussi y avoir des accords convenus entre associés au sein de ce pacte. Le dirigeant est souvent l’associé majoritaire, mais il arrive que l’actionnaire principal ne dispose pas de la majorité et que la somme des parts détenues par d’autres associés vienne peser dans la gestion de l’entreprise. Attention également aux conditions de nomination et de révocation du dirigeant.” En outre, les associés doivent respecter la clause d’intuitu personae. “La société peut être constituée d’un gérant, d’un couple ou d’associés, mais le franchiseur fonde généralement sa décision sur une personne clé, ou deux et fige l’intuitu personae sur cette situation.
Si l’intuitu personae pèse sur une personne en particulier, le franchiseur exigera sans doute qu’elle détienne la majorité du capital ou des droits de vote. Et assure la direction, rappelle Laurent Breyne. Tout changement de structure amenant à modifier l’intuitu personae se heurte à l’agrément préalable du franchiseur. Et s’en passer peut être une clause de résiliation du contrat pour lui.” Contraignant, ce cadre apporte aussi son lot d’avantages à certains égards. Il permet de répartir les tâches, de dialoguer, comme d’anticiper divers scénarios, de surmonter des crises. Tout comme d’avoir une bonne trésorerie de départ. “Mon apport personnel aurait été trop faible pour les banques si je m’étais lancé seul. Mon frère et son ami m’ont rejoint. Cet ami a ensuite quitté le projet six mois plus tard… Nous avons procédé à un rachat des parts et mon frère est devenu associé passif. Ils ont, plus tard, chacun apporté de la trésorerie à mon projet. Nous nous sommes associés sur un second magasin et j’ai ensuite racheté leurs parts pour ouvrir, seul, cette fois, ma troisième unité. Grâce aux fonds qui m’ont justement permis d’ouvrir une holding juste avant ma troisième adresse”, relate Alexandre Petit.
Des propos que partage Emmanuel Dupont. Pour lui, “être à deux a permis de réunir plus de fonds. Car il a fallu vendre nos maisons, jeunes parents trentenaires que nous étions chacun pour créer ce projet.” Un candidat s’appuie aussi sur ses pairs. “Le franchiseur pourra être rassuré par la présence de plusieurs associés si le projet confié implique une multiplicité des ressources et des compétences, estime Laurent Breyne. Mais il faut anticiper les conditions de sortie du projet et le coût éventuel de sortie d’un associé, plutôt que de subir la situation. Si au départ s’associer peut être intéressant quand on souhaite accéder à des capitaux et avoir plus de poids et de crédibilité auprès des banques, il faut garder à l’esprit que la durée de vie d’une société est illimitée, contrairement à un contrat.” Ainsi, lorsqu’une société survit à ses actionnaires (sauf en cas de liquidation judiciaire), il faut anticiper les détails de la transmission. “D’où l’importance de penser à la cession d’entreprise et à la transmission des titres dès le début du projet, avant même d’aller voir le franchiseur”, insiste l’expert.
La complémentarité, sinon rien
Diriger à plusieurs, si le binôme est complémentaire, permet aussi d’alléger la charge mentale, rapportent Stéphane Tabary et Nathalie Lenormand, associés chez Story, spécialiste de mobilier, depuis juillet 2022 à La Richardais (Ille-et-Vilaine). “Nathalie est la gérante majoritaire, étant plus opérationnelle que moi. Et vit de l’activité du magasin. Il est normal qu’elle soit la première à en récolter les fruits. Nous n’avons pas encore prévu de pacte d’associés, même si l’on sait qu’il ne faut pas idéaliser notre binôme. Mais les questions d’argent ont été décidées dès la signature. Nous sommes aussi tous les deux cautions solidaires sur les prêts engagés auprès des banques. La relation est saine et équilibrée. Y compris au magasin. Nous n’avons que le volet recrutement en commun”, détaille le gérant. Emmanuel Dupont et son associé se sont aussi partagé les rôles. “Nous sommes associés à égalité. Je gère la partie commerciale pour nos deux magasins et, lui, l’administratif. On ne se marche pas sur les pieds et se voit une à deux fois par semaine. Cette organisation permet aussi de se conforter mutuellement car, sur le marché du jouet, 50 % du business se fait entre novembre et décembre, alors le climat des affaires peut être anxiogène… Mais si chacun gère sa partie, nos décisions sont communes sur la politique commerciale”, étaye ce dernier.
Néanmoins, personne n’échappe à des tensions de gouvernance qui peuvent parfois (dé)légitimer certains rôles et nuire à l’équilibre établi. “Il y a parfois un décalage entre la réalité du terrain et ce qui est perçu par celles ou ceux qui n’y sont pas. J’étais aux achats et à la gestion du personnel et mon frère se penchait sur la comptabilité et la vente. Cela n’était pas simple d’argumenter sur certains sujets. D’autant qu’on se voyait peu dans l’année. Par chance, il n’y a pas eu de conflits particuliers, ni même à propos des dépenses”, témoigne Alexandre Petit. À l’inverse, si des conflits surviennent, c’est souvent par manque de réalisme. “On envisage rarement d’entrer un jour en conflit avec une personne de confiance, un ancien collègue ou sa famille. Mais il arrive trop vite que cela se produise parce qu’on n’a pas pris le temps de s’évaluer mutuellement en situation de gestion de crise. Ou parce que l’on ne sait pas gérer l’affect, les egos ou les relations intergénérationnelles dans un contexte professionnel”, souligne Laurent Breyne. “Et puis, les envies évoluent au fil du parcours professionnel, renchérit Alexandre Petit. Ce qui est vrai à l’instant T ne le sera pas dans 5 ou 10 ans. La preuve, je n’avais pas prévu que l’ami de mon frère sorte, fatigué du projet six mois seulement après le lancement ! Et je me suis rendu compte que je voulais gérer seul les affaires.”
Mais, alors, quels sont les secrets d’un binôme qui marche ? Chez Stéphane Tabary et Nathalie Lenormand, l’ego reste à la porte : “Tout repose sur la communication et le tempérament. On n’a aucun souci à entretenir des conversations animées. C’est même indispensable pour désamorcer un conflit. Et parce que, pour réussir, on ne peut pas briller sur les mêmes points.” En outre, complète la gérante, “nous avons aussi une société de meubles depuis 8 ans, qui précède la franchise. Et Stéphane a plus d’expérience du métier que moi à certains égards.” En d’autres termes, s’associer implique d’avoir une équipe qui résiste à toute épreuve. “Les humeurs, les qualités, les défauts, on a bien connu cela trois ans durant, avant d’opter pour JouéClub. Nous avions aussi la même vision du commerce. Je suis impulsif et dans l’action et mon associé, plus réfléchi, note Emmanuel Dupont. Mon conseil, c’est donc de s’imaginer tous les scenarii possibles. L’amitié n’est pas forcément un gage de longévité.”