Qu’est-ce qu’un pacte d’associés ?
Laurent Breyne : Le premier point, c’est d’étudier les caractéristiques générales d’une société à plusieurs et de se mettre d’accord sur l’objectif à partager. Une société créée à plusieurs suppose un degré de coopération plus important que de simples contrats. De nombreuses questions vont se poser : le choix de la forme juridique, les statuts à structurer, le choix des dirigeants (SARL, avec un ou plusieurs gérants, dans une SAS un président et la possibilité de nommer des directeurs généraux). Il faut décider en amont, du mode de prise de décisions. L’explication est simple : certaines décisions sont prises par le dirigeant, quand d’autres sont soumises à un vote d’associés.
Il peut aussi y avoir, à côté des statuts, des accords convenus entre associés au sein d’un pacte d’actionnaires. Le dirigeant est souvent l’associé majoritaire. Mais il arrive aussi que l’actionnaire principal ne dispose pas de la majorité et que la somme des parts détenues par d’autres associés puisse venir peser dans la gestion de l’entreprise. Gardons aussi en tête les conditions de nomination et de révocation du dirigeant.
Le pacte d’associés va donc définir la suite de l’aventure pour chacun et toutes les conditions de sortie ou de transmission de l’entreprise…
L. B : Exactement ! Départager les rôles décisionnaires accélère la prise de décisions autour de l’exploitation. Il est toujours préférable d’anticiper les conditions de sortie du projet et le coût éventuel de sortie d’un associé, plutôt que de subir la situation. Si au départ le fait de s’associer peut être intéressant quand on souhaite accéder à des capitaux et avoir plus de poids et de crédibilité auprès des banques, il faut aussi garder à l’esprit que la durée de vie d’une société est illimitée, contrairement à un contrat. C’est un projet commun dans la durée. Il repose sur la confiance et l’anticipation face aux aléas de la vie. Un projet sous forme sociétale survit à ses actionnaires. Une société peut être transmise aux enfants un jour et ainsi poursuivre son activité, sauf en cas de liquidation. D’où l’importance de penser à la cession d’entreprise et à la transmission des titres dès le début du projet. Cela avant même de se présenter au franchiseur!
On ne peut pas parler de définition des rôles, sans évoquer la notion d’intuitu personae. Pouvez-vous rappeler ce que c’est ? Et pourquoi il faut l’inclure au pacte d’associés ?
L. B : L’autre problématique, dans le fait de s’associer en franchise, c’est en effet de se heurter à l’intuitu personae, qui est propre au contrat de franchise. Cela est d’ailleurs souvent détaillé en annexe des contrats. La société franchisée peut donc être constituée d’une seule personne, d’un couple, ou de plusieurs associés, mais le franchiseur fonde généralement sa décision sur une personne clé, parfois deux, et fige alors l’intuitu personae. Il lui faut un interlocuteur principal tout du long de l’exploitation du concept/activité.
Si l’intuitu personae pèse sur une personne en particulier, le franchiseur exigera sans doute qu’elle détienne la majorité du capital ou des droits de vote. Et qu’elle assure la direction de la société franchisée. Dès lors, tout changement dans la structure qui amène une modification de l’intuitu personae se heurtera à l’agrément préalable du franchiseur. Par conséquent, le contrat ne pourra pas être cédé sans cet agrément préalable. Saviez-vous que s’en passer pouvait être une cause de résiliation du contrat si le franchiseur s’avérait insatisfait d’une nouvelle gouvernance ? Attention, donc, à bien établir les clauses et les annexes qui organisent l’intuitu personae du franchisé et les marges de manœuvre éventuelles pour éviter d’être confronté à de mauvaises surprises le moment venu.
Que se passe-t-il lorsque d’une société vend un fonds de commerce ?
L. B : Si une société vend un fonds de commerce exploité autour d’un contrat de franchise, le contrat du franchisé avec intuitu personae ne fait pas partie des éléments du fonds de commerce. Le franchiseur prévoit généralement une procédure d’agrément préalable du cessionnaire ainsi qu’une clause de préemption afin de lui permettre de reprendre ce fonds pour son compte. Autrement, la tête de réseau peut le remplacer par un autre franchisé de son choix.
On note également que certains franchiseurs peuvent imposer un test de personnalité au candidat à l’entrée afin de mesurer ses aptitudes. Celles qui sont nécessaires à diriger une équipe et à gérer une exploitation, notamment. Selon la situation, le franchiseur pourra être rassuré par la présence d’associés si le projet confié implique une multiplicité des ressources et des compétences. Parfois, donc, les rôles initiaux peuvent s’inverser à la création du projet si le franchiseur estime que l’un semble plus apte à diriger que l’autre. C’est aussi une question de complémentarité entre associés (ou pas).
Une gouvernance en place qui fonctionne peut-elle s’entourer d’un nouvel associé et l’inclure à son pacte d’associés ?
L. B : Généralement, faire entrer un nouvel associé au capital ne pose pas problème au franchiseur. Sauf si cela touche à l’intuitu personae, ou si le nouvel entrant est directement ou indirectement un concurrent. Ces mouvements de titres ne modifient pas l’intuitu personae. Il s’agit là d’une gestion privée qui ne concerne que l’exploitant/porteur de projet. Le franchiseur est donc avisé de ne pas s’en mêler ! Mais si l’entrée d’un nouvel associé implique un changement de l’intuitu personae, rien ne dit que le franchiseur ne procédera pas à l’agrément du nouvel actionnaire majoritaire et dirigeant.
Enfin, si la société franchisée vend ses titres (ou son fonds exploité en franchise) à une nouvelle entreprise, l’agrément du repreneur entraînera, en général, une résiliation du contrat de franchise simultanée à la signature de l’acte de cession. Un nouveau contrat de franchise sera ensuite signé par le cessionnaire et le nouveau franchisé.
Est-il finalement obligatoire de rédiger un pacte d’associés au lancement ?
L. B : Cette étape n’est pas obligatoire. Néanmoins, les experts juridiques la recommandent. Gare aussi à la dimension opérationnelle et humaine ! Car, au début, comme dans tous les projets, la vision est idyllique. On envisage rarement d’entrer un jour en conflit avec une personne de confiance, un ancien collègue ou des membres de sa famille. Mais cela peut vite se produire parce que l’on n’a pas pris le temps de s’évaluer mutuellement en situation de gestion de crise, ou que l’on ne sait pas gérer l’affect, les egos ou les relations intergénérationnelles dans un contexte professionnel.
Le défi consiste à réussir à établir une relation durable pour savoir comment résoudre et dépasser des désaccords. Et à fixer des règles dès le départ et des limites à ne pas franchir. Car nombre de couples ou de familles fusionnelles se déchirent autour d’un projet d’entreprise où les tensions viennent cristalliser les histoires personnelles. Un conflit privé peut aussi se répercuter sur l’entreprise, les collaborateurs et venir impacter la bonne marche de l’entreprise. Alors, anticipez tous les cas de figures avant de signer ensemble. Quitte à vous former en amont, ou chacun de votre côté, pour apprendre à désamorcer des conflits et vous mettre en conditions pour le jour J.
Quelles sont vos dernières recommandations pour rédiger sereinement ce pacte et trouver le(s) bon(s) associés pour la vie (ou presque)?
L. B : Je conseille aux porteurs de projet de prendre le temps d’étudier les statuts et les pactes d’actionnaires éventuels avec des avocats avant d’aller rencontrer le franchiseur et/ ou son équipe dirigeante. Cela déterminera aussi leurs choix opérationnels. Un associé dormant ? Il sera investisseur, mais n’aura pas la vision du terrain. Pensez-y et associez vos compétences pour devenir complémentaires (compétences humaines, managériales, techniques, commerciales, développement, etc.).
Enfin, entourez-vous de personnes qui savent se remettre en question et qui savent rester à leur place et comptez sur des savoir-être bien identifiés. Et évitez de récupérer des statuts types pour faire des micro économies. Allez plutôt rencontrer un avocat et un expert-comptable pour anticiper les évènements qui pourraient affecter votre entreprise au regard de votre situation personnelle.
J’insiste aussi sur l’importance d’anticiper les conditions d’entrée et de sortie des associés. Le pacte d’actionnaires est non seulement un gage de sécurité et d’apaisement en cas de conflit, mais garantit aussi moins de lourdeurs administratives le jour où il faut se mettre autour de la table pour déterminer la valeur des actions et des titres, à l’occasion d’un litige. Enfin, sachez bien différencier les deux termes : le pacte d’associés concerne les entreprises dont le capital est réparti en parts sociales (SARL, SCI). Et le pacte d’actionnaires, les sociétés dont le capital est réparti en actions (SA, SAS).