Vous avez lancé Xtras, une application d’aide au recrutement en 2021. Quelle est la genèse du projet ?
Jean-Baptiste Vignau: La réflexion a démarré autour de mon propre établissement. Un bar à tapas situé à Marseille, sur lequel j’employais 22 personnes en CDI, à l’époque. Au fil du temps, je me suis rendu compte que le fait de subir le turn-over en salles devenait éprouvant. Et que bien recruter prenait un temps fou. J’ai aussi pensé que s’il y avait du turn-over, cela devait être le signe d’un mauvais management. Au même moment, j’échangeais avec des entrepreneurs désireux d’ouvrir en franchise avec moi sur ce concept de bar à tapas. J’ai alors pensé : mais comment vais-je pouvoir gérer des partenaires externes, si je n’arrive déjà pas moi-même à gérer mon personnel ?
J’ai donc démarré une formation en management et en gestion du stress pour identifier mes besoins et trouver des ressources. C’est grâce à elle que j’ai rencontré mon futur associé. Ce projet d’application de sourcing d’employés est donc né d’une rencontre avec Guillaume Barthoux, à la tête d’un organisme de formation (Signal), après divers échanges et réflexions communes sur le monde de l’emploi, du CHR et de la formation. Entre-temps, Amaury Chaumette, à la tête d’une entreprise de sécurité (Securalliance) nous a rejoints. Et nous avons fondé Xtras ensemble. Le projet a aussi été soutenu par France Travail, l’Umih* 13 et l’Office de tourisme de Marseille. Et j’utilise moi-même cette application pour recruter au sein de mon restaurant !
L’outil a donc été lancé pour répondre aux besoins du marché de l’emploi…
J-B.V : Oui. La société a été lancée en 2021 et l’application en juin 2022. On le voit, les salariés sont bien moins fidèles à leur entreprise aujourd’hui que ne l’ont été leurs parents. On assiste aussi à une vague de reconversions et même à l’essor du slashing (le fait d’exercer plusieurs emplois à la fois). En outre, puisque nous partions du constat que les contrats longs ne font plus rêver les jeunes ou les moins jeunes, pourquoi ne pas tenter de fidéliser ces profils, via d’autres leviers ?
Quels sont ces autres leviers ?
J-B.V : Puisque les jeunes ne sont plus attirés par des contrats de longue durée et ce, pour des raisons multiples, nous avons pensé que l’employeur pouvait réussir à les fidéliser en leur proposant d’abord un contrat d’extra ou un contrat court/d’intérim, avant de créer une embauche à long terme. En somme, l’application permet d’établir une première collaboration et de la reconduire si besoin. Je me suis d’ailleurs rendu compte que le fait de proposer des contrats moins engageants sur l’application attirait des profils beaucoup plus variés qu’auparavant. Ils sont issus d’autres secteurs que ceux vers lesquels ils postulent. Et ont une multitude de (nouvelles) compétences à apporter.
Dès lors, l’application crée des passerelles professionnelles d’une branche à l’autre. Notamment sur le secteur du CHR, sur lequel il y a des dénominateurs et des savoir-être communs requis par les employeurs. Xtras permet de mutualiser des compétences pour créer des profils encore plus atypiques, rares et agiles pour l’employeur. Pourquoi ne pas recruter un hôte d’accueil travaillant dans le milieu hôtelier dans un restaurant cette fois ? Et ainsi répondre à des besoins ponctuels ? D’autant plus pour soutenir la filière du CHR qui peine à recruter et soutenir les mobilités internes et régionales. À titre d’exemple, Xtras peut tout à fait accompagner des groupes ou des groupes multienseignes à recruter en saison. Quitte à embaucher les mêmes employés d’une entité à l’autre, mais sur des contrats différents, par exemple.
Comment les employeurs et les candidats sont-ils mis en relation par l’application ?
J-B.V : L’employé crée un compte. Il y indique ensuite ses savoir-être et ses compétences ainsi que sa carte d’identité et sa carte vitale. Il y note également les métiers qu’il connaît et veut bien exercer afin que l’application lui propose des offres d’emploi ciblées. À condition d’avoir également renseigné sa zone géographique pour faire travailler l’algorithme. Quant à l’employeur, il crée son profil avec ses raisons sociales et ses raisons d’être, publie ses offres d’emploi et sélectionne ensuite ses candidats. Les demandeurs d’emploi peuvent également échanger via une messagerie instantanée avec leur futur employeur, puis aboutir à un premier entretien. Et s’évaluer mutuellement à la fin du contrat.
Les évaluations sont-elles publiquement visibles ?
J-B.V : L’employeur fournit une évaluation de l’employé quant à ses savoir-être et savoir-faire, tandis que l’employé peut évaluer l’accueil dont il a bénéficié dans l’entreprise (ambiance, conditions de travail, etc.). Le système n’est donc pas punitif pour le demandeur d’emploi, mais élévateur et vecteur de valeur. En effet, qu’il s’agisse des évaluations des employés ou des employeurs, seules les évaluations positives sont rendues publiques. Les évaluations négatives, elles, ne sont vues que par l’équipe d’Xtras. Xtras propose donc autant de fonctionnalités qu’un site d’emploi, à la différence que l’outil permet de visualiser le temps de réponse moyen de son interlocuteur (employeur et futur employé). Et que le candidat peut s’auto-évaluer tout au long de son parcours professionnel.
À quel moment intervient ensuite l’intelligence artificielle ?
J-B.V : L’IA intervient dans le processus de ‘matching’. L’employé, qu’il soit salarié d’un franchisé par exemple, pourra rechercher un poste spécifique selon ses critères choisis (dont géolocalisation). Quant à l’employeur, il se sert de l’IA pour établir un trombinoscope des profils qui l’intéressent, selon ses critères renseignés. C’est non seulement un gain de temps pour tous, mais aussi un cercle vertueux pour les demandeurs d’emploi. Notamment quand ils peinent à trouver le bon employeur et se confrontent à un tri fastidieux des offres d’emploi qui sont parfois incomplètes.
L’IA soumet aussi des recommandations de salaires à l’employeur afin qu’il puisse s’aligner aux rémunérations du marché (selon secteur). Elle émet aussi des recommandations de formations au candidat. Des messages peuvent ainsi apparaître sur son écran au moment où il candidate, tels que ‘vous vous apprêtez à candidater chez X, mais vous n’avez pas cette formation. Voulez-vous vous former à X en amont ?’ En effet, au-delà de l’application, mes associés et moi-même avons déployé tout un écosystème de formations. En revanche, l’outil a ses limites face à ceux qui tenteraient d’en abuser.
Comment limitez-vous ces abus, justement ?
J-B.V : Vous serez temporairement suspendu de l’application si, par exemple, vous ne vous présentez pas à l’employeur le jour J. Et le délais de suspension augmente à chaque nouvelle absence. Néanmoins, le candidat pourra, s’il le souhaite, participer à une mission associative ou bénévole chez l’un de nos partenaires référencés. Comme Clean my Calanques à Marseille*, par exemple. Ce qui, là encore, n’a rien de punitif, mais limite les abus. Ainsi, le candidat peut s’engager dans la vie civique et témoigner de son sérieux et de ses valeurs face à ses futurs employeurs. Et de son ouverture d’esprit. En outre, ces missions demeurent facultatives. On peut aussi effectuer ces missions de son propre ressort, sans avoir nécessairement été exclu de l’application pour les raisons que je vous ai énoncées tout à l’heure. Ces missions seront toutefois valorisées par l’obtention de badges utilisateur. Ce sont des statuts qui offrent divers avantages, comme un CSE d’entreprise individuel ou des formations, par exemple. Il s’agit donc de faciliter la mise en relation, de limiter le taux chômage et de (re)donner confiance aux candidats !
Qui sont vos clients ? Et quel est votre système de monétisation ?
J-B.V : Nous accompagnons des professionnels du SAP et de la grande distribution. Et travaillons avec des partenaires tels que l’Umih (l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie), le GNC (Groupement National des Chaînes Hôtelières) ainsi que France Travail. Nous sommes aussi régulièrement en contact avec des missions locales afin de proposer des services de recrutement à leurs adhérents (via des réductions ou de l’information). Divers clients nous ont aussi fait confiance, tels qu’Intersport, Quick, Burger King, Subway ainsi que Carrefour Express et Ibis.
Côté monétisation cette fois, l’application fonctionne autour d’un système d’abonnements. Les annonces s’achètent à l’unité ou en lot (selon options). Nos clients peuvent aussi acheter des forfaits qui comprennent la mise en ligne de plusieurs annonces ainsi qu’un accompagnement spécifique/ personnalisé. Pour 6 mois, ou à l’année, par exemple. On y intègre la mise en ligne des annonces, les entretiens avec les candidats, ou encore une liste de candidats qualifiés. L’accès est également gratuit aux demandeurs d’emploi.
*Association marseillaise créée en 2017 qui milite pour la préservation de l’environnement.