Lors de son édition annuelle, la fédération pour la promotion du commerce spécialisé Procos a réuni les bailleurs de grands centres commerciaux afin de déterminer quels seraient les lieux physiques et digitaux qui donnent envie aux consommateurs.
Le phygital, ou la digitalisation des points de vente
Inflation, pouvoir d’achat, guerre en Ukraine… les raisons d’un contexte défavorable à la consommation sont nombreuses. Malgré cela, les enseignes stabilisent leurs ventes, notamment sur le web où elles gagnent 0,5 % entre 2022 et 2023. C’est pourquoi certains bailleurs misent sur le phygital pour maintenir leur croissance.
C’est le cas de Philippe Journo, Président et fondateur de Compagnie de Phalsbourg. « The Village Outlet, en périphérie de Lyon, a engrangé 19 millions d’euros de chiffre d’affaires rien qu’en digital », annonce-t-il. Ce dernier explique néanmoins la difficulté de se battre face à des concurrents redoutables comme Temu ou Shein, qui pratiquent des tarifs extrêmement agressifs. « Il y a quelques années, nous ne savions pas ce qu’étaient Temu et Shein, ça n’existait pas. Tout d’un coup, un concurrent est là et on ne le voit même pas arriver. »
En effet, la surperformance des plateformes internationales arrivées récemment sur le marché français bouleverse l’économie avec des prix de vente extrêmement bas, indique Procos dans son rapport.
Néanmoins, en ce qui concerne l’ensemble des ventes, le chiffre d’affaires dégagé par les centres commerciaux français l’an dernier se révèle en hausse moyenne de 3,3 % par rapport à 2022, selon la FACT (la Fédération des Acteurs du Commerce dans les Territoires). Comment les lieux physiques tentent de se démarquer malgré la concurrence et un contexte économique défavorable ?
La place du loisir dans les centres
« Le loisir doit être un moyen de générer du trafic dans nos lieux de commerce », estime Frédéric Merlin, président du groupe SGM, qui a racheté des centres fantômes pour les redynamiser. « On a racheté un centre commercial vide, quasiment à l’abandon à Saint-Quentin en Yvelines pour y faire un lieu de loisir, à l’instar d’un parc d’attractions. On y a mis un kart électrique, un bowling et un cinéma qui fait plus d’un million d’entrées par an. »
L’homme d’affaires de 32 ans gère aujourd’hui avec sa sœur 11 centres commerciaux de centres-villes, 7 magasins Galeries Lafayette et 3 BHV. « On a des animations les mercredis et samedis, toujours à destination des familles et enfants », poursuit Frédéric Merlin.
Louis Bonelli, directeur général France & Belgique de Klépierre (qui compte des dizaines de centres commerciaux à travers l’Europe) a fait le même constat : les opérations de loisirs enrichissent l’expérience client et créent du trafic pour les enseignes.
« Nous avons lancé des escape games inspirés de licences connues comme Naruto et One Piece dans nos centres, qui ont été de véritables succès », explique-t-il. « On associe nos commerçants à ces opérations, qu’ils soient spécialisés en beauté pour des séances de maquillage ou qu’ils utilisent la licence pour faciliter la conversion dans leurs enseignes ».
Pour Frédéric Merlin, l’enjeu est désormais de faire du loisir un facteur d’attractivité permanent, et non plus uniquement lors des moments stratégiques. « Les chiffres sont bons mais la difficulté qu’on a à ce stade, c’est que chez nous, le loisir ne génère du trafic que les mercredis, les samedis après-midi et le soir ». Cette problématique autour du trafic est un enjeu essentiel pour tous les bailleurs.
« L’un des grands enjeux pour les centres, c’est le fréquentiel »
Alors que la fréquentation des magasins accuse une baisse, Carmila, qui détient 201 centres commerciaux en Europe, mise sur l’ancrage local et l’innovation. « Nous travaillons beaucoup en local et avec 40 % de franchisés et d’indépendants dans nos centres, on a une diversité de commerçants », explique Sandrine Mercier, directrice marketing, client, digital et innovation de Carmila.
« Nous voulons des lieux de commerces où il se passe toujours quelque chose (…) L’un des grands enjeux pour les centres, c’est le fréquentiel. » Afin d’augmenter les nombres de passage en caisse des consommateurs, Carmila utilise Carrefour, sa marque phare, pour créer des synergies. « Carrefour à un fréquentiel très fort les mardis et jeudis par exemple. On utilise donc Carrefour en proposant des cartes cadeaux à dépenser dans les autres enseignes ».
Dans l’optique de renouveler sa proposition et d’innover, Carmila mise également sur les boutiques éphémères, notamment pour mettre en avant des DNVB (Digital Native Vertical Brand), ces marques nées sur Internet. « Il faut donner leur chance à des nouveaux commerçants. On pratique pour eux un prix spécial DNVB. »
De son côté, Philippe Journo parie sur les évènements familiaux pour attirer le public. « Spectacles sur les lacs, illuminations de Noël, concerts… On veut vraiment attirer les familles, et ça passe aussi par faire une architecture exceptionnelle, une écologie qui soit visible, ou notre ferme pédagogique à Atoll qui cartonne ». Une stratégie payante puisque que le président de Compagnie de Phalsbourg revendique une hausse de la fréquentation de ses centres.
En définitive, les lieux de consommation qui innovent et proposent une expérience différenciante permettent aux enseignes d’acquérir un flux important de consommateurs, dans un contexte inflationniste défavorable à la consommation. « Le lieu, les enseignes et le commerce, c’est un même monde. Même si parfois les intérêts divergent, on peut trouver des solutions ensemble », conclut Sandrine Mercier.