A son apogée en 2020, le marché du bio représentait près de 13 milliards d’euros*. De quoi attirer les acteurs de la grande distribution qui ont lancé leurs propres gammes de produits bio. « A ce moment-là, on est sur de très grosses progressions, portées à la fois par la grande distribution et par le marché spécialisé, raconte Frédéric Faure, vice-président de Biocoop. On était sur des croissances à deux chiffres, atteignant parfois les plus de 20 %. Puis, le retournement du marché a eu lieu en 2021 et 2022, avec des décroissances très importantes. »
« Le marché redémarre »
Avec une baisse des ventes en volume (-2,6 % en 2021 et -7,8 % en 2022*), le marché a percuté de plein fouet la crise liée à l’inflation et a souffert de l’éparpillement des acteurs. Depuis, 550 magasins ont fermé, dont 298 en 2023, pour seulement 32 ouvertures la même année. Les principaux acteurs spécialisés, Biocoop et Naturalia, ont eux aussi fermé des points de vente, mais ce sont aussi les enseignes qui ont pu en rouvrir. « Le marché redémarre. Tous les acteurs sont unanimes, se réjouit Ashvin Mungur, directeur du réseau de franchise de Naturalia. D’ailleurs, c’est le cas depuis un petit moment. Cette année 2024 a été bien meilleure que les précédentes. »
Un constat que partage le vice-président de Biocoop, qui reste cependant prudent quant à cette croissance. « Aujourd’hui, à date, on est sur une croissance pour l’année 2024 qui va se profiler autour des plus de 8 %. Cette croissance est à analyser avec un peu de prudence, car elle a été portée de manière un peu moins significative que dans le conventionnel en raison de l’inflation. Néanmoins, ce qu’on constate, c’est qu’une très grande partie de cette croissance est portée par la fréquentation des magasins. »
C’est ce que nous confirme Naturalia, qui observe un trafic plus important dans ses magasins ainsi que des volumes de ventes en croissance. « C’est encore un autre signal ultra positif qui nous permet d’être assez optimistes pour 2025. » L’enseigne enregistre, par ailleurs, une croissance de plus de 6 % sur sa partie franchise, par rapport à l’année dernière. « Aujourd’hui, nous avons un parc de 228 magasins. La franchise représente 30 % de ce parc, donc 67 magasins, dont 9 en location-gérance. »
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Pourquoi le marché repart-il ?
« Il faut être lucide : il y a eu beaucoup de fermetures de magasins à travers la France. Tout le monde ouvrait un peu à tort et à travers. Aujourd’hui, le marché s’est assaini. Et, finalement, on a redonné un peu de souffle au marché », analyse Ashvin Mungur. Les fermetures ont ainsi profité aux enseignes les plus importantes, à l’instar de Biocoop, leader du marché spécialisé avec 46,5 % des parts de marché en France. Mais le rapport de la grande distribution au bio a également chamboulé le secteur. « Il y a eu une récupération d’une part de marché délaissée par la grande distribution, confirme Frédéric Faure. Et puis il y a un phénomène de concentration des acteurs de la distribution spécialisée. »
Au niveau national, Carrefour est, en effet, le premier acteur du bio, avec 24 % de parts de marché (contre 12 % pour Biocoop), suivi par Leclerc et Intermarché notamment. « Il y a eu un désengagement très significatif de la grande distribution qui, il faut quand même le noter, porte près la moitié du marché bio en France, poursuit Frédéric Faure. Ce lead a été déconstruit par le parti pris de la grande distribution de se désengager, de manière physique et économique, des filières bio. Elle a fait ce qu’elle sait faire en temps de crise : elle se met au tempo de ce qui lui semble être le plus profitable et ne répond plus à la demande immédiate. »
A l’inverse, les acteurs spécialisés ont conservé leurs engagements, un positionnement qui a fini par s’avérer payant. « On a gardé nos valeurs, notre offre, et notre parti pris en termes d’impact sociétal. Je pense que les consommateurs ont gardé cette recherche de vouloir consommer de bons produits, au meilleur rapport qualité-prix, et en cohérence avec les valeurs qu’ils portent. Ils ont dû se tourner vers la distribution spécialisée pour retrouver les produits qu’ils trouvaient avant dans la grande distribution. »
Quel avenir pour le bio ?
Si le marché a su rebondir, il reste des défis à relever, comme la nécessité de préserver les filières françaises. Pour le vice-président de Biocoop, le risque qui pèse sur le marché vient de la grande distribution. Il déplore notamment « une sorte de désintérêt global de la grande distribution » pour les sujets agricoles. « On voit bien que, passée la crise, la grande distribution, Carrefour en tête, commence à se réintéresser au bio. L’enjeu va être, comme on le voit dans l’actualité agricole, de préserver notre souveraineté alimentaire, notre capacité à produire et être le plus autonome et le plus local possible dans nos approvisionnements. »
Cela suppose de maintenir des filières françaises. « Si on a des gros opérateurs comme Carrefour qui reviennent sur le marché de la bio, mais qui ouvrent les vannes des imports pour satisfaire une nouvelle demande qu’ils sauront créer, c’est un grand danger, car nous allons encore avoir des différentiels de prix et d’engagement. »
Le marché du bio, après avoir traversé une crise majeure, semble donc retrouver un équilibre précaire. « On est passés par un petit krach, mais c’est en train de repartir, résume le directeur du réseau de franchise Naturalia, qui prévoit de nouvelles ouvertures en franchise en 2025. Cette crise a finalement fait partir ceux qui n’étaient pas vraiment dans le bio à l’origine. » Un tri qui a permis d’assainir le marché et d’offrir un nouveau souffle aux enseignes spécialisées. Reste à savoir si la filière parviendra à maintenir son cap face à des acteurs parfois en quête d’opportunités à court terme.
*Selon l’Insee
**Entre 2022 et 2024 selon Bio Linéaires