Avant de comprendre en quoi consiste un rachat (et une reprise) de réseau, le franchiseur est-il tenu d’informer ses franchisés de la situation ?
Laurent Kruch : Cela peut paraître surprenant, mais le franchiseur n’est pas tenu d’informer ses partenaires en phase de précession. Autant il y a un devoir d’information au candidat en phase précontractuelle autour du DIP, autant cela n’existe pas dans le cadre d’une cession d’enseigne. Ni même d’une levée de fonds, ou d’un rachat d’une autre enseigne/groupe.
En revanche, la loi Hamon impose au franchiseur d’informer ses salariés de l’éventualité d’une cession dans un délai minimum de deux mois (avant le jour J). Notamment vis-à-vis de ses succursales, par exemple. On parle ici des salariés du franchiseur. Pourquoi ? Parce que cela engendre des conséquences financières si on ne respecte pas cette obligation légale. Ce délai a été pensé pour permettre aux salariés d’éventuellement racheter l’entreprise. Mais, dans les faits, la confidentialité est de mise, autant que possible, afin de ne pas instaurer un climat d’anxiété en interne et de ne pas inciter des franchisés ou des salariés à partir ou à douter des compétences du nouveau repreneur. Elle est même totale entre vendeur et acheteur lorsque l’opération de rachat est en cours. Et ce jusqu’à la signature effective. Le franchisé pourrait tout à fait souhaiter négocier des clauses le jour J, ou le repreneur, se retirer de l’opération… La prudence s’impose ! Par ailleurs, le contexte de rachat d’une enseigne implique de tenir compte de la clause d’intuitu personae.
Je cite, pour exemple, le texte de loi 12-116 du code Civil, présent dans les contrats de franchise, qui indique, dès le début, que le franchisé accepte le changement de contrôle du franchiseur. D’où la question du respect de l’intuitu personae. Ce qui permet à chacun d’anticiper la suite, et d’éviter les conflits au sein du réseau. Mais aussi, côté franchiseur repreneur, de faire adhérer un maximum de partenaires.
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Cette clause lie le franchiseur à son franchisé. Mais comment s’applique-t-elle?
L.K : Vous, candidat, ne signez pas avec le franchiseur en tant que personne morale, mais bien avec une marque. À l’inverse, le franchiseur vous choisit par rapport à votre individualité et votre personnalité. Et en tant que décisionnaire de votre entreprise. Ce qui doit d’ailleurs être détaillé par vos soins et avec vos avocats, au moment de la création du pacte d’associés. À moins que vous ne soyez seul aux commandes de votre activité. Ainsi, cette clause ne s’applique qu’en faveur du franchiseur. Et vient limiter le contrôle du franchisé sur la question. Le franchisé ne peut d’ailleurs pas quitter le réseau, tant qu’il y est lié par son contrat.
Un franchisé ne peut donc pas quitter le navire en cours de traversée. Quelles sont ses options ?
L.K : Le franchisé ne peut pas rompre son contrat de franchise. Néanmoins, il est protégé par son contrat, même si son réseau est vendu. Toutes les clauses précédemment rédigées, puis acceptées à la signature du premier contrat, ne peuvent pas être modifiées par le nouveau propriétaire de l’enseigne. Que le franchisé se rassure en ce sens : son nouveau franchiseur, appelé aussi acheteur, acquéreur ou même cessionnaire, devra strictement s’y tenir !
En revanche, le nouveau franchiseur peut décider d’harmoniser les contrats sur son parc, mais là encore, à condition de respecter les contrats achetés (anciens franchisés). Il est courant, dans la pratique, de voir une tête de réseau faire signer un nouveau contrat à ses partenaires, dans le but justement, d’harmoniser les anciennes clauses avec les nouvelles. Une marque reprise poursuit son histoire, ses contrats aussi ! La négociation concerne souvent la durée de vie du contrat plus qu’autre chose. Ou alors des avantages personnels que le franchisé peut tout à fait demander à son nouveau franchiseur. Pas question, en revanche, de payer un nouveau droit d’entrée au rachat de l’enseigne, si son concept, sa charte et ses codes ne changent pas. Au franchiseur ensuite d’intégrer le savoir-faire de l’ancien franchiseur puisqu’il en va de son devoir d’animation et de transmission.
Que faire si, cette fois, le réseau se transforme sous une nouvelle marque ?
L. K : Lorsqu’un réseau change de concept, la transformation du parc s’effectue de manière progressive. Mais elle n’a lieu que sur l’adhésion des franchisés. Partenaires qui ont un certain poids de négociation face à la nouvelle tête de réseau. Transformer une commerce, d’autant plus lorsque c’est imposé au gérant en quelque sorte, engendre beaucoup de frais. Le franchiseur peut donc proposer un accompagnement financier à ses franchisés pour qu’ils acceptent de passer sous sa marque. En revanche, ceux qui refuseraient le changement d’enseigne, poursuivraient leur contrat sous l’ancienne marque jusqu’à l’échéance. En parallèle, le franchiseur peut sonder les partenaires du parc et progressivement procéder à des arbitrages. Racheter des magasins, les faire basculer en succursale, ou pas, etc. À condition de dédommager les franchisés…
Comment le franchisé est-il dédommagé par son nouveau franchiseur alors ?
L. K : Le franchiseur peut tout à fait proposer une rupture du contrat en cours, mais devra prévoir de racheter votre point de vente moyennant une certaine somme convenue avec le franchisé. Tant en franchise qu’en succursale, mais aussi vous trouver un repreneur. Le dédommagement n’a lieu qu’en cas d’arrêt forcé du contrat. Autour d’une somme équivalente à ce que l’on aurait gagné durant la durée du contrat. À l’inverse, c’est au franchisé qui rompt son contrat, de dédommager son franchiseur par ce qu’il aurait perçu les années à venir. Mais on est souvent racheté par plus gros que soi. Ce qui a aussi son lot d’avantages financiers…
Un franchisé peut-il négocier ses nouvelles conditions d’entrée auprès de la nouvelle enseigne ?
L. K : Lorsque vous faites partie d’un réseau qui se fait racheter, qui garde ses codes, il ne vous est pas demandé de repayer le droit d’entrée. Mais si votre contrat s’arrête quelques mois avant le rachat, vous devrez signer un nouveau contrat pour continuer a exploiter la marque. Ou alors, tout simplement ne pas renouveler votre engagement. Néanmoins, il est intéressant de saisir l’opportunité. À cette époque, le franchisé peut bénéficier d’une meilleure écoute de son repreneur. Notamment dans les 6 à 18 mois qui suivent l’opération de reprise. Il bénéficiera de meilleures conditions de négociation que s’il ne s’y confrontait 6 ou 7 ans plus tard
Des franchisés peuvent ils se rassembler pour racheter la marque de leur franchiseur ? Quel est votre point de vue en la matière ?
L. K : Cela n’est pas bon signe que de voir des franchisés se rassembler pour racheter une enseigne. C’est la preuve que le franchiseur est défaillant. On cite, pour exemple, le réseau Eat Sushi qui a été racheté par ses franchisés. Tout dépend aussi du jugement rendu par le tribunal de Commerce concerné par le dossier. Ou bien de la qualité des potentiels repreneurs. Autrement, s’ils ne sont pas à la hauteur, l’entreprise est liquidée. Il y a aussi le cas du franchiseur en vente et de ses franchisés repreneurs, qui se confrontent à d’autres potentiels candidats repreneurs. Mais cela est souvent source de jalousies, d’animosité et d’inquiétudes au sein du réseau.
Notamment du côté des franchisés qui verraient leurs anciens confrères changer de rôle et prendre la direction du réseau. Ou ne prendre des décisions qu’entre eux parce qu’ils seraient devenus plus puissants. Mieux vaut parfois trouver un repreneur dont l’ancienne (ou complémentaire) organisation a déjà fait ses preuves. Autrement, on se confronte à des cas classiques de départ à la retraite, qui entraînent une cession et une transmission d’entreprise via une vente interne. Le franchiseur procède alors à ce qu’on appelle une réalisation d’investissement auprès d’un tiers de confiance.
Au nouveau dirigeant ensuite de prendre ses fonctions. Et de communiquer avec le réseau afin de lui expliquer ce qui change ou non pour la suite, en fonction aussi du degré de maturité dudit réseau et/ou de sa situation économique ou de celle de son secteur d’activité.
Quels sont vos conseils pour les franchisés qui se confrontent à un cas de rachat ?
L. K : D’abord, faire étudier le nouveau contrat par un expert externe au réseau afin de comparer les précédentes clauses avec les nouvelles. Le franchiseur est censé vous aider à vous transformer et non vous faire subir ce changement. Ou bien vous dédommager. Il faut aussi y voir des avantages. Des changements d’interlocuteurs, certes, mais aussi sûrement de la modernité et du changement derrière. Le repreneur n’a aucun intérêt à créer des contentieux avec ses franchisés. C’est très souvent une opportunité pour le réseau repris.
Mais les candidats doivent prendre le temps de lire le contrat pour anticiper cette éventualité de rachat un jour. Même si le franchisé a généralement le temps d’évaluer son nouveau franchiseur au moment de la reprise et/ou de la transformation du parc enseigne, avant de choisir de poursuivre l’aventure, ou pas.