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Propriété intellectuelle : comment s’applique-t-elle en franchise ?

Ouvrir en franchise implique de respecter le concept créé par le franchiseur, mais aussi d’accepter qu’il évolue au fil du temps. Si un franchisé peut apporter sa pierre à l’édifice pour jouer collectif au sein du réseau, il reste avant tout exploitant de la marque et se doit de respecter la propriété intellectuelle de la tête de réseau. Explications avec Vanessa Bouchara, spécialiste en marque et en propriété intellectuelle et coordinatrice du collège des Experts de Fédération Française de la Franchise pour comprendre ce que ce terme juridique encadre.

Quelle est votre définition de la propriété intellectuelle ?

Vanessa Bouchara : La propriété intellectuelle comprend tous les actifs identitaires et créatifs de l’entreprise. Les actifs de propriété intellectuelle sont nombreux. Il peut s’agir du droit des marques, étant précisé qu’une marque doit être déposée et qu’elle permet de distinguer ce que propose une entreprise par rapport à ses concurrents. Les droits d’auteurs portant sur un slogan, un logo, un design ou encore une collection de produits sont aussi des droits avec un régime particulier puisqu’ils sont protégeables, même sans dépôt, sous réserve d’originalité. Les dessins et modèles sont, là encore, des actifs de propriété intellectuelle importants qui protègent l’aspect extérieur d’un produit, et doivent être déposés. Il existe évidemment les brevets, côté technologie.

À la signature du contrat de franchise ou de licence de marque, le dirigeant devient exploitant de la marque. Quels outils le franchiseur doit-il utiliser pour sécuriser sa marque ? Quelles démarches doit-il entreprendre pour éviter un jour d’être copié ?

V. B : Le réseau est responsable de sa marque. Il en est donc propriétaire, titulaire et en a la pleine maîtrise. Le franchisé bénéficie d’un droit d’exploitation de la marque, qui lui est concédé par le franchiseur à la signature du contrat. Mais c’est bel et bien au franchiseur, pour le compte de ses partenaires, de choisir les actions à mettre en place pour sa marque, notamment des opérations de surveillance du marché. Ce peut être réalisé par des avocats, des conseils ou des spécialistes de la propriété intellectuelle. Le but d’une surveillance est que le titulaire des droits soit alerté quand une marque similaire à la sienne est déposée, ou exploitée sur Internet et/ou sur des plateformes de revente. La surveillance peut se faire au niveau des marques émergentes ou des noms de société. Elle peut également se faire via les remontées terrain du réseau cette fois, grâce à l’implication des franchisés qui alerteraient eux-mêmes la tête de réseau de la situation ou d’une éventuelle tentative de contrefaçon, par exemple. Les franchisés peuvent donc avoir un rôle d’alerte auprès du franchiseur.

Au franchiseur, ensuite, d’engager des actions si nécessaire. Il en va de même quand on opte pour un développement en master-franchise. Mais attention à ne pas croire que le master franchisé a les pleins pouvoirs sur le territoire qui lui est attribué ! Le master franchisé demeure, lui aussi, exploitant de la marque du franchiseur. Son devoir de vigilance est donc encore plus fort à l’égard de la tête de réseau parce qu’il a beaucoup plus de responsabilités qu’un franchisé. À l’inverse, le franchiseur devra aussi s’assurer que son concept et ses bonnes pratiques sont bien appliqués dans ses magasins. Et que ses partenaires exploitent bien la marque, ses codes (charte), conformément aux obligations prévues dans le contrat, via la présence des animateurs réseau, par exemple.

Toute modification, même si bénéfique au concept, devra également être validée par le franchiseur avant d’être appliquée sur le point de vente… Mais qu’en est-il du partage de la data au sein du réseau ?

V. B : La data est liée à la responsabilité et à la propriété des données. Il faut toujours bien lire et comprendre les clauses qui s’appliquent à la relation contractuelle. Elles permettent de cadrer les choses d’un point de vue juridique. L’important est de bien définir, dans la relation contractuelle, ce qu’il en sera du partage de données entre le franchiseur et le franchisé. À savoir qui est propriétaire des données des clients, qui peut les exploiter, etc. Il existe des cas d’ailleurs, où le franchiseur et le franchisé peuvent être co-responsables du traitement. Mon conseil, aux franchiseurs et aux franchisés ? Poser et comprendre les choses au début du contrat pour établir une relation de transparence. Et ainsi éviter les flous et les mauvaises surprises ensuite !

Comment le franchiseur peut-il se prémunir contre des actions malveillantes de la part de ses (anciens) franchisés ou d’autres personnes ? Quelles sont les règles et limites à connaître pendant la durée du contrat et à la fin ?

V. B : Le franchiseur doit contractuellement prévoir que le franchisé ne reprendra pas les codes de son enseigne, que ce soit pendant le cours du contrat ou à sa fin. Plus le contrat sera précis sur ce volet, plus le franchisé intègrera ce qu’il peut, ou ne peut pas faire, à son départ du réseau. On entend par là de retirer le lettrage, le mobilier propre à l’architecture du concept, mais aussi le logo, ou même certaines peintures des murs du magasin. Conserver ces éléments peut en effet créer une confusion et être considéré comme une atteinte au réseau.

Je cite, pour exemple, le cas d’un franchisé Elephant Bleu. La clause de l’enseigne obligeait le franchisé, en 2008, à ne plus utiliser ses couleurs et à repeindre son centre dans d’autres couleurs, à la fin de son contrat. Or, le franchisé avait maintenu ces éléments plus de dix mois après la fin du contrat. Ce qui pouvait aussi induire la clientèle en erreur. La clause, dont le franchisé a contesté la validité, a finalement été validée par la Cour d’appel de Paris*. Plus les choses sont clarifiées dans le contrat, plus le franchisé aura conscience des conditions qui s’appliquent à la fin du contrat.

La propriété intellectuelle inclut-elle de se tenir à des clauses de confidentialité, côté franchisé ?

V. B : La clause de confidentialité détermine tout ce qui ne doit pas être divulgué au moment où la personne prend connaissance de l’information confidentielle du franchiseur. Toutefois, si elle est tombée dans le domaine public, par exemple si elle a été publiée dans la presse ou divulguée dans un rapport annuel, il n’y aura pas de confidentialité. Si les franchiseurs sont titulaires d’un savoir-faire, il est indispensable de le protéger par des clauses de confidentialité, à défaut de quoi il risque de ne pas être protégé convenablement.

Avez-vous des exemples montrant les risques encourus par les franchiseurs à propos de copies de concepts ?

V. B : Les cas de contrefaçon sont fréquents. Un exemple intéressant est celui de l’enseigne Les 3 Brasseurs*. Un ancien candidat s’est fait condamner sur le fondement de la concurrence déloyale et parasitaire pour avoir repris l’emplacement du local et les codes esthétiques et conceptuels du franchiseur avec lequel il envisageait de contracter. Il avait signé le DIP, s’était ensuite retiré de l’enseigne, avant d’ouvrir à son compte autour du même concept sous le nom ‘Chez le Brasseur’. S’en est suivi un contentieux sur le fondement d’une rupture abusive : l’entrepreneur a été condamné à reverser 174 150 euros à titre de dommages et intérêts aux 3 Brasseurs. Un second contentieux a aussi été ouvert au motif de contrefaçon, concurrence déloyale et parasitisme à l’encontre de l’ancien candidat à la franchise. Il avait donc, non seulement, repris les codes, les menus et le mobilier, mais aussi embauché deux salariés du réseau. D’où l’importance, je le rappelle, d’anticiper au maximum afin de se prémunir contre d’anciens partenaires ou partenaires potentiels qui quitteraient un réseau pour ensuite tirer profit de ses réussites et de ses investissements.

Comment sécuriser au mieux ses actifs de propriété intellectuelle, alors ?

V. B : Il faut anticiper tous les risques possibles à la création du concept. D’abord connaître ses droits, et pour cela réaliser un audit pour savoir ce qui doit être protégé ou pas en fonction de ses projets immédiats et futurs tels que le développement de son concept pour des activités annexes (exemple : envisager de lancer des cosmétiques quand on est dans le prêt-à-porter), le développement à l’international, etc.… en s’assurant qu’il n’y ait pas de droits antérieurs pour ces nouveaux produits ou ce nouveau territoire. Ensuite, se poser la question de la protection à chaque nouvelle création afin de protéger, non seulement ce qui fait son identité, mais aussi ses gammes et ses collections. Il faut également sécuriser son réseau et mettre en place des surveillances pour agir au plus vite lorsque des tiers portent atteinte à vos droits.

Quels sont vos conseils pour favoriser la cohésion de groupe et un climat de confiance au sein du réseau ?

V. B : Mon conseil est de bien alerter les franchisés sur l’importance des actifs de propriété intellectuelle de l’entreprise et de les inciter à alerter la tête de réseau au moindre doute. Cela contribue aussi à une bonne communication au sein de l’enseigne et favorise le dialogue. Au franchiseur également d’être vigilant dans la rédaction de son contrat et de tout prévoir pour simplifier les démarches de ses franchisés. Que ce soit dans le cadre d’un contrat de franchise, mais aussi en licence de marque, d’ailleurs ! Ce qui signifie d’anticiper la façon dont le franchisé ou le licencié utilisera la marque durant son contrat, jusqu’à son expiration, et d’expliquer, avec pédagogie, l’importance de la confidentialité de ses informations avec les risques pour le réseau.… Alors, restez en alerte et protégez-vous !

*Cour d’appel de Paris, Pôle 5, chambre 4, arrêt du 15 février 2023, n°22/05248

*Cour d’appel d’Aix-en-Provence, Chambre 3-1, 9 février 2023, 19/12866, Les 3 Brasseurs v. Le Brasseur

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